La bourse et ma vie par Alain Sueur

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Aujourd’hui, je vous propose un article écrit par Alain Sueur, spécialiste de la finance et de la gestion du patrimoine, rencontré par le biais d’un ami d’une association boursière l’ayant invité à réaliser une conférence à l’ESC Dijon. Je suis resté en contact avec Mr Sueur, qui m’a gentiment relayé mon parcours (4L Trophy et USA) sur son blog. Ayant un parcours très intéressant, j’invite Mr Sueur à s’exprimer sur Candix.fr.

La bourse et ma vie par Alain Sueur

La meilleure richesse est celle de votre intérieur. L’argent aide mais bâtir sa vie pour en être content, voilà ce qui importe. Mes à-côtés de la carrière ont été :

  • l’archéologie qui apprend le travail d’équipe et l’humilité des hypothèses,
  • la course de fond (marathon de Paris 1984, semi-marathon et plusieurs Paris-Versailles),
  • la haute montagne (sommet du Mont-Blanc, camp de base de l’Everest) qui apprend l’effort et l’obstination,
  • le karaté qui apprend la discipline, la maîtrise de soi et à doser ses coups en équipe,
  • la voile qui exige la rigueur et l’anticipation des éléments pour tracer la route,
  • les voyages dans plus de 50 pays (notamment un Lhassa-Katmandou en VTT) qui apprennent la relativité des mœurs et l’éternité des vaniteux.

De l’économie à la finance

L’économie était chose méprisable durant mes études et je ne l’ai découverte qu’au travers de la science politique. Science bien humaine, qui prend comme l’économie des modèles aux sciences exactes pour tenter de les appliquer à ce qui est le plus difficile de saisir : l’humanité. Mais est-ce bien « scientifique » qu’un être s’évalue lui-même ? Les modèles ne sont pas des révélations divines mais des hypothèses mathématisées qui fonctionnent un temps seulement. J’ai donc suivi mon goût pour l’humain dans deux domaines : l’économie et l’archéologie. C’est ainsi que j’ai abordé la finance.

Carrière de Monsieur Sueur

Tout d’abord dans l’analyse crédit à la BNP. Il s’agissait d’établir les ratios financiers et l’environnement des risques pour accorder des prêts à des entreprises. C’est une bonne formation à l’analyse financière : au lieu de vanter les beautés de l‘action à faire vendre, vous vous demandez si vous allez prendre le risque d’investir dans la boite… Mais l’univers bureaucratique d’une grande banque nationalisée était pesant (nous étions en 1982). Je suis entré à la Financière Meeschaert où le fondateur, Émile, avait le sens du client. C’est auprès de lui que j’ai appris ce capital inestimable qu’est une clientèle. Autodidacte, aimant les gens, Émile Meeschaert avait du bon sens, ce qui est plutôt rare en finance. Les financiers se présentent comme des gens sérieux mais ils sont capables de prendre des risques non calculés.

Quand vous êtes conseil en patrimoine, vous avez vite l’impression de tourner en rond. Il s’agit de trouver le mouton à cinq pattes, un produit qui fait mieux que celui du beau-frère, sans aucun risque et à fiscalité presque nulle, en restant liquide et avec peu de frais… Dans les années 1980 la bourse s’agitait, toute une génération obsolète créait un appel d’air vers la gestion. J’ai donc opté pour la technique plutôt que pour le commercial : je suis devenu gérant de portefeuille chez Tuffier, Ravier & Py, une start up à l’époque. Le « krach » de 1987 (qui n’en était pas un) est intervenu, donnant une bonne leçon à tout le monde, moi compris. Nous l’avions vaguement anticipé car il fallait compter avec la politique monétaire et avec les produits dérivés (créés en 1987 en bourse de Paris), mais le patron a refusé une allocation d’actifs trop atypique « qui ferait peur » (un tiers de monétaire, un tiers d’or et un tiers d’actions défensives). Il a fait faillite et je me suis retrouvé quatre mois au chômage. Cela m’a paru très long alors que c’était insignifiant.

La Banque Indosuez m’a pris comme gérant de SICAV et de comptes institutionnels. Les spécialistes étaient rares et il fallait du sang neuf. Le patron des gestions m’a confié la création d’une nouvelle SICAV gérée en produits dérivés, arbitrage de convertibles, ajustement en contrats futures et calcul de rentabilité pour chaque classe d’actifs. ‘Indosuez Alpha’ était le premier hedge fund français qui ne disait pas son nom. Je l’ai imaginé, ai réuni une équipe pour la gérer, ai participé à la commercialisation avec le directeur du marketing auprès des institutionnels de la place. L’encours a doublé sur un an et la performance annuelle (avant sa disparition dans la rationalisation Crédit Agricole) a été benchmark + 4.3%. J’ai quitté Indosuez lorsqu’elle s’est fait racheter par le Crédit agricole à cause de ses pertes dans l’immobilier.

Il fallait « absolument » être analyste financier pour être considéré. Eh bien nous avons eu le krach de l’immobilier en 1990 qui a fait chuter le Japon dont l’indice était dopé par les « réévaluations d’actifs » des analystes financiers fondés sur le prix du mètre carré au sol, le krach obligataire de 1994, la crise asiatique de 1997, la faillite du fonds LTCM qui a failli emporter la finance mondiale malgré ses deux prix Nobel au conseil, en 1998. Puis le krach des technologiques en 2000, dû à ces mêmes analystes financiers. Le krach des cabinets d’audit avec Enron, Vivendi, Andersen et autres en 2002. L’expérience prouve qu’une crise va toujours jusqu’au bout de sa logique, chacun restant incapable de ne PAS faire comme les autres au même moment, parce qu’il se fait regarder de travers. Donc krach en 2007 et crise économique qui dure encore, avec l’essor beaucoup plus rapide que prévu des gros pays émergents qui ont fait basculer le monde en 2010 de l’Amérique vers l’Asie. L’analyse financière est fondamentale, elle ne fait pas la décision de gestion.

Puisqu’il fallait être analyste pour être « sérieux », je le suis devenu par un stage chez Paribas suivi d’un mémoire sur un groupe de distribution à la SFAF. J’ai été embauché par Meeschaert société de bourse pour opérer la synthèse des avis des analystes financiers, à destination des vendeurs pour leurs clients gérants d’OPCVM. Puis le courtier s’est fait racheter…. Le mouvement du monde vous rattrape.

Le stratège donne la cohérence aux gérants pour chacun leurs comptes et aux clients pour comprendre où va la bourse et comment fonctionne l’économie. Le CIC m’a accueilli à Paris avant d’être rationalisé par le Crédit Mutuel, lorsque Fabius, ministre des Finances, l’a privatisé en 1998. J’y suis resté six ans à rédiger et exposer la stratégie boursière (y compris sur France-info avec Jean-Pierre Gaillard), tout en gérant une SICAV d’obligations convertibles, trois fonds à profil de risque et divers fonds dédiés pour des caisses de retraites. J’ai écrit en février 2000 que les arbres ne montaient pas jusqu’au ciel et que les marchés devenaient dangereux. La chute ne s’est produite qu’un mois et demi plus tard et pas grand monde ne s’était rendu à mes arguments.

Tenter une expérience à Genève, toujours en stratégie, était un défi intéressant. Approché via un collègue de la Caisse des dépôts, j’ai été embauché par accord commun comme de règle en Suisse. Mon patron a cru que je voulais sa place et nous nous sommes séparés. Il s’attendait à la chute imminente du dollar et on l’attend toujours. Avec l’explosion de la bulle des montages à levier en 2007, la finance s’est effondrée, les banques ont fusionné et craignent d’embaucher autre que des commerciaux, les clients ont fui la bourse pour l’immobilier et l’assurance-vie en monétaire. Les marchés sont sinistrés, pris entre les traders aux 27 000 opérations par seconde et les gérants de fonds souverains ou de pension qui achètent sur dix ans et plus. Il n’y a plus de « tendances » courtes, faute d’acteurs.

Réflexion sur son parcours

C’était le moment de prendre du recul, après trente ans de pratique financière. J’ai créé deux blogs et écrit deux livres. Mon blog généraliste est publié depuis six ans sous pseudonyme, et je ne vous le dirai pas car il faut rester discret dans les métiers de finance ; il a conquis plus de 2 millions et demi de visiteurs, près de 2000 par jour. Le Blog boursier est professionnel, il poursuit l’étude des marchés ; bien que repris par Café de la bourse ou autres sites, il connaît peu de visiteurs car trop spécialisé. Pour les livres, le premier est un bilan de métier, ‘Les outils de la stratégie boursière’ ; le second est une commande qui m’a bien plu, ‘Gestion de fortune’. J’y ai réfléchi sur ce qu’étaient les pratiques financières efficaces (l’analyse pas seulement comptable, les modèles utilisés seulement comme des outils, l’importance de la psychologie de marché), et sur les notions vagues. Par exemple la « richesse » (être riche n’est pas avoir plein d’argent, c’est vouloir transmettre un patrimoine et vivre selon certaines valeurs). Ou le « capitalisme » (il n’y en a pas un mais plusieurs, ce n’est pas un système social mais une technique d’efficacité économique). Désormais, j’enseigne en école de commerce, parfois en université (mais le décret de 1987 est très contraignant pour les non salariés) et en formation professionnelle.

La leçon de tout cela ? On ne fait bien que ce qu’on aime, le monde n’arrête pas de changer et les métiers évoluent, il faut s’y adapter. Il n’y a guère que la hiérarchie qui reste, tout aussi fermée et sûre d’elle-même, sortie des « grandes » écoles. Mais ce qui compte au final, c’est le client. Fidélisé, il est une richesse beaucoup plus nette que le « process » et le « benchmark ». Le client a besoin qu’on s’occupe de lui, qu’on le comprenne et qu’on l’informe. Il pardonne une mauvaise performance si la stratégie qui y a conduit a été claire et suivie. Il est désorienté si l’on change d’avis mais fait encore plus confiance s’il voit que c’est justifié.

Vous pouvez retrouver Alain  et ses analyses intéressantes sur le Blog Boursier. http://leblog-boursier.typepad.com/

Acheter ses livres

Alain Sueur, auteur de « Outils de la stratégie boursière » (2007)

Alain Sueur, auteur de « Gestion de fortune » (2009)


2 réponses

  1. Sam
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    Un parcourt très intéressant! Vous avez travaillé exactement dans les domaines qui me passionne. Je serai ravi d’échanger quelques mots avec vous!

    • alain
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      Vastes domaines… Le monde a changé. Que voudriez-vous savoir ?